Sorti dans les années 2000, Übel Blatt est un seinen de fantasy qui a ensuite été publié sous forme de 24 volumes au cours des années 2010.
Il a, entre autres, gagné un prix seinen en 2008, puis s’est vu offrir une suite et une adaptation animée.
Je ne prendrai en compte que la version compilée en tomes de la série originale, ce qui ne doit pas poser de problèmes puisque l’œuvre est censée être complète.
Le tome 0
Le tome 0 est une introduction à l’univers du manga et à la façon dont l’histoire se présente tout au long de l’œuvre.
On remarque très vite la diversité des personnages. Il y a, dès le début, près d’une dizaine de personnages qui sont montrés. Cela permet d’avoir une certaine cohérence tout en restant compréhensible, puisque les personnages qui se connaissent agissent en groupe.
Dans l’introduction, des éléments d’histoire sont cités, mais il s’agit finalement juste d’une présentation du style graphique, du système de combats et des motivations du personnage principal (MC). Ce choix permet au public de tester le manga : s’il n’aime pas les graphismes ou la façon dont l’histoire est racontée, il n’est pas nécessaire de continuer.
La mise en place de l’histoire
Une fois que le manga commence vraiment, il devient intéressant. Les personnages sont matures et, surtout, le monde semble bien développé. Il y a des classes sociales qui paraissent avoir des spécificités et des croyances différentes. On voit notamment que la propagande n’a pas le même effet d’une population à une autre.
On peut, en revanche, remarquer que l’esclavage est très répandu, mais uniquement à des fins sexuelles, ce qui est un non-sens ou, en tout cas, devrait être justifié. C’est encore plus problématique dans le cas des demi-elfes, pour lesquels il n’est jamais précisé qu’ils n’ont pas les mêmes pouvoirs que les autres, si ce n’est sur des critères de lignée.
Dans ce début et sur quelques tomes, le manga reste dans la même lignée. Le développement des personnages avance, une question majeure sur l’opinion publique semble se préparer, et on pourrait seulement reprocher que les combats s’enchaînent sans apporter beaucoup de tension dramatique.
Quand la logique vacille
Il me semble que les choses commencent à se gâter quand la fille d’un noble (l’équivalent des princes-électeurs allemands) veut faire du MC un allié en se basant sur une simple intuition et sur le fait que le MC n’ait pas cherché à tuer des civils. On pourrait mettre cela sur le compte d’une faiblesse logique inhérente au personnage, mais à partir de là, les incohérences s’enchaînent.
Le MC finit par se faire des alliés permanents et leur révèle son identité. Alors, même s’il semble logique qu’ils restent ensemble en le sachant, il est étrange qu’ils le croient. En effet, la révélation ne provoque presque aucune réaction, et certains disent même qu’ils s’en doutaient. Même si on pourrait à la rigueur justifier cela par l’intercompréhension entre épéistes (qui est courante dans de nombreuses œuvres).
Le fait que des personnes qui ne l’ont jamais combattu disent cela n’a aucun sens. Il faut rappeler qu’il y a eu dix ans de propagande contre lui, qu’il n’a plus le même corps et que sa personnalité a naturellement changé. De plus, il n’est jamais fait mention de légendes ou de mythes sur une éventuelle résurrection, ce qui fait que la réaction la plus logique serait de le prendre pour un fou ou un menteur.
Parallèlement à ça, il y a de plus en plus de combats où le MC malmène son corps à répétition, et il continue de battre des adversaires de plus en plus puissants, sans qu’il soit fait mention de phases de repos ou d’entraînement. C’est parfois expliqué par la mécanique du clair de lune qui le renforce, mais ce n’est pas toujours le cas. Cette mécanique, qui était présentée dans l’introduction comme étant d’une grande importance, devient au fil de l’œuvre une simple justification pour de superbes visuels, sans impact sur l’histoire.
Encore de nouveaux éléments
Bien qu’il y ait quelques faiblesses d’écriture, rien n’est encore rédhibitoire. Si certaines possibilités de développement (comme autour de l’opinion publique) sont abandonnées, d’autres éléments viennent compenser.
En géopolitique, déjà, la haute noblesse de l’empire est introduite, et on comprend mieux les rapports de force qui régissent le pays. Ensuite, à l’échelle des personnages, il y a de plus en plus d’histoires et de relations.
On obtient plus d’informations sur le passé du MC, et des personnages intéressants comme le nouvel Übel Blatt sont développés. Cependant, là encore, certains personnages introduits plus tôt, comme la passeuse ou la demi-elfe, sont peu ou prou abandonnés.
Les combats s’enchaînent ainsi, et si la résurrection de celui qui est identifié dès le début comme étant le boss final est surprenante (ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose, car elle n’était pas du tout préparée dans l’histoire). On assiste aussi à l’introduction des agents du royaume démoniaque, qui nous teasent une troisième force politique et de réelles informations sur ce royaume.
La dernière chance
Mais là où il faudrait une pause dans les combats, pour que les personnages s’entraînent et se développent, que l’intrigue politique prenne une vraie importance et que l’on puisse accumuler de la tension dramatique (voire des dilemmes moraux pour les combats suivants), il n’y a qu’un autre combat, encore un autre, et encore un autre. Cela ne permet que de finaliser le développement de personnages mineurs et crée une frustration, d’autant plus que de nouveaux personnages sont constamment ajoutés.
Lorsque le héros se fait battre à plate couture, il semble que la seule solution soit de préparer un plan qui permette de vaincre l’adversaire. Mais encore une fois, c’est un combat comme tous les autres avant, qui n’utilise pas les éléments qui avaient été préparés.
La fin
Comble de la déception pour ma part : l’antagoniste est finalement vaincu par une alliance entre les Übel Blatt, ce qui s’apparente à un « pouvoir de l’amitié » qui serait ridicule même dans le plus enfantin des vieux shōnen.
Finalement, le manga laisse un goût amer avec une quantité indécente d’idées non développées. Que ce soit les questions sociales (l’oppression des demi-elfes et la propagande), le développement des personnages (le MC était beaucoup plus fort à l’époque), la magie (les elfes et la magie sont sous-exploités), la politique (qui est inutile) ou encore le royaume magique (qui n’est finalement pas du tout exploré), tout semble laissé en suspens.
Personnellement, je me suis aperçu à la fin du manga que je ne me souvenais même plus qu’il y avait tant de héros, tant leur exposition est inégale (on ne parle que de deux des lances et des héros, mais pas du tout des autres lances ni des morts).
Une vision plus globale
Deux autres choses m’ont un peu gêné lorsque j’ai repensé le manga dans son ensemble. Déjà, l’échelle de puissance des armées est étrange : les premiers combats font très médiéval-fantasy, alors que les derniers donnent presque l’impression d’être dans Star Wars. C’est un détail, mais le vrai problème à mes yeux est que le manga est sexiste.
Un sexisme structurel
En effet, les femmes sont sous-représentées et plus faibles que les hommes, en plus d’être hypersexualisées. L’hypersexualisation est regrettable, mais elle correspond à une demande de l’industrie de l’époque ; il est donc difficile de la critiquer. D’autan qu’elle ne nuit pas à l’histoire, contrairement à d’autres œuvres.
En revanche, la sous-représentation est problématique, car elle n’a aucune justification. Le monde possède une magie non genrée, et il existe aussi des maîtresses d’épée reconnues. Il n’est jamais fait mention d’un sexisme culturel. L’explication de cette inégalité n’est donc pas à chercher dans l’univers du manga, mais bien dans l’intention (consciente ou non) de l’auteur, ce qui est, à mon sens, très dérangeant. Même si cela peut s’expliquer par la culture japonaise du début des années 2000. Il est important de garder ce fait en tête lorsqu’on lit ou analyse une œuvre afin de ne pas être influencé inconsciemment par les idées d’une autre époque.
Ce que j’en ai retenu
Ce manga est agréable à lire, possède de beaux dessins et des scènes de combat impressionnantes, mais il est malheureusement bâclé au niveau du worldbuilding et de l’histoire. Une pression de l’industrie ou un changement de volonté de l’auteur laisse donc une grande déception a la fin de ce manga qui aurait mérité d’être mieux développé.