Pour commencer cette critique de Goodnight World, récupérons les informations factuelles. Goodnight World est un manga d’Okabe Uru publié en 2016. Il a aussi été adapté en anime, mais je ne vais pas prendre en compte de potentielles différences. Il est considéré comme un shōnen mais s’approche largement du seinen en ce qu’il propose.
Des mondes particuliers
Dès le début, Goodnight World marque sa différenciation avec le trope “monde virtuel”. Là où des œuvres telles que Sword Art Online, Shangri-La Frontier, ou un arc de Hunter x Hunter vont utiliser le monde virtuel comme prétexte à des aventures et des lois de la physique modifiées, Goodnight World entretient l’importance des deux mondes de manière égale et ne s’appesantit pas du tout sur la physique, laissant une grande part à la liberté qu’offre ce monde.
On nous montre de manière assez claire le rôle de chaque monde, à travers les paroles des personnages mais aussi à travers les dessins qui changent beaucoup en fonction du lieu. Le monde virtuel est clair, rayonnant, avec dès le début un conflit qui se règle facilement et où tout le monde vit comme il le veut. Que ce soit en combattant, en apprenant ou juste en vivant une vie paisible.
Au contraire, le monde réel est sombre, terne, presque mort et tous les conflits sont étouffés et ruminés. Même simplement changer une ampoule crée un conflit. Ce contraste, qui pourrait presque faire penser à un Tim Burton, crée une tension constante, car même quand tout va bien, on sait qu’il y a des problèmes sous-jacents et que les personnages sont toujours un peu en train de feindre, tout le temps.
Les vrais objectifs
Un point qui me paraît important à définir est : quels sont les enjeux ? Cette question peut paraître bizarre à première vue car le manga indique lui-même que les enjeux sont clairs : la survie du monde, d’abord le virtuel puis le réel aussi.
Pourtant, lorsque l’on regarde de manière plus détaillée, on se rend compte que ce sont en fait des épouvantails, qui donnent une excuse pour obliger un grand nombre de personnages à être profondément impliqués. S’il s’agissait vraiment d’enjeux aussi universels, les acteurs seraient bien plus nombreux et avec des objectifs bien plus complexes.
Ici, les mondes dont il est question sont à une échelle beaucoup plus réduite, à savoir : dans quel environnement je veux et je peux vivre ? C’est l’objectif de tous les personnages : toute la famille Arima veut vivre en famille mais n’a pas la même vision, Piko veut vivre avec Ichi et Léon veut créer une utopie. Les enjeux sont donc de savoir si et comment les personnages vont influencer leur environnement pour l’adapter à leurs objectifs, de manière consciente ou non.
Un organisation particulière
Un des éléments centraux dans toute histoire est le rythme de celle-ci, j’entends par là la répartition des éléments qui apportent une réaction du lecteur dans l’œuvre, ainsi que la nature de ces réactions. Dans Goodnight World, ce rythme est plutôt particulier puisqu’il est très linéaire ; les informations et les enjeux sont répartis de manière exemplairement régulière. Les conséquences de ce choix sont que les 5 tomes se lisent très vite, ou en tout cas donnent cette impression. Mais aussi qu’il n’y a pas de “climax” où la pression serait accumulée et où le lecteur serait particulièrement impliqué émotionnellement. Même au moment qui devrait l’être, la lecture laisse une certaine distance.
Bien sûr, cet effet est aussi créé par la complexité et l’anormalité des phénomènes qui accaparent une partie des capacités cérébrales du lectorat. En tout cas, cette linéarité…
Virtuel = faux ?
Les mondes virtuels et physiques sont omniprésents dans ce manga. On a déjà vu qu’ils sont différents des mondes parallèles classiques mais je pense que l’on peut aller plus loin dans l’analyse.
On sait que le monde physique est très restreignant : tous les personnages cachent leurs émotions derrière des couches et des couches de faux-semblants et aucun ne peut agir comme il l’entend. Puisque tout montre que les deux mondes sont opposés, il est logique de penser que le monde virtuel va se démarquer par sa liberté, un monde où chacun ferait ce qu’il veut sans être gêné par les autres ou par les conséquences de ses actions.
L’autre identité
Pourtant, on voit que le monde virtuel est loin d’être idyllique : tout est contrôlé par les guildes, l’appât du gain guide toute action et, bien que ce ne soit pas normal, on peut y mourir. Tous ces éléments sont logiques mais ne le sont pas du tout dans un monde qui est censé n’être que liberté. Sauf si la liberté n’est pas la même.
Ce qui rend le monde virtuel libre par rapport au physique, c’est le manque de conséquences sur les corps : on peut faire des combats à 1000 contre 1, voler et parler une fois décapité. D’un autre côté, il est restreignant pour les raisons citées ci-haut. On peut aussi remarquer que la puissance des personnages semble directement relative à à quel point ils sont impliqués et têtus ; on pourrait résumer ça à de la “force mentale”.
Avec ces éléments, on remarque que le monde virtuel est largement dirigé par l’esprit : le corps est totalement secondaire et c’est la volonté qui fait les forces et faiblesses d’un personnage ; on pourrait donc l’appeler “monde spirituel”.
Quels conséquences
Maintenant que les mondes sont identifiés comme étant spirituel et corporel (par opposition), on remarque plus facilement que les personnages ont une puissance déséquilibrée. Par exemple le père Shiro Akanabe, qui est très puissant, là où Kojiro Arima est très faible ; au contraire, le frère Asuma Arima a un très bon physique là où AAAAA n’a que des connaissances ; seuls Ichi et Taichiro sont relativement équilibrés l’un envers l’autre.
Cet équilibre est bien évidemment central dans l’analyse détaillée des personnages, de leurs motivations et de leurs souffrances. Mais il n’y aura pas le temps de s’attarder dessus.
Ce dont il est vraiment question
Tous les éléments cités plus haut sont importants pour comprendre la forme du manga, mais le fond parle de thèmes beaucoup plus simples et difficiles, notamment le pardon et la famille. Pour cette dernière, chaque membre a un point de vue différent : le père l’idéalise, Taichiro la renie, et Arima et la mère semblent l’accepter dans une certaine mesure.
On a tout de même un fil rouge sur ce sujet : la famille existe et quoi qu’il arrive il est impossible de s’en défaire, on ne peut que l’accepter et faire avec. On pourrait ajouter une nuance au manga en précisant que “faire avec” ne signifie pas rester physiquement avec et qu’il vaut mieux s’en éloigner si elle présente un danger. En effet, le manga reste presque bon enfant en comparaison à ce qui peut se passer de pire dans une famille réelle.
Le pardon
L’autre thème le plus important du manga est le pardon, notamment développé par Taichiro envers Kojiro. Ici, pas de morale clairement définie : on a beau en apprendre un peu plus sur l’histoire et la relation entre les deux tome après tome, on ne peut trouver de bonne réponse sur la façon dont les deux devraient se comporter. Bien sûr, certains peuvent avoir des préférences ou être plus frustrés par le comportement de l’un des deux, mais ce sera toujours purement subjectif et directement lié à l’histoire personnelle du lecteur.
Quel que soit, cependant, le ressenti que provoque cette lecture, tout le monde peut reconnaître que c’est une excellente représentation de la complexité des relations, d’autant plus les rancunes, d’autant plus intrafamiliales. De même que, lorsque vient le moment du pardon avec le volume 5, on peut voir toute la complexité émotionnelle qui peut être produite, tiraillant entre l’envie de haïr à mort et le besoin de pardonner pour se libérer soi-même. Ce qui est encore aggravé par l’injonction du père à être puni pour pouvoir être pardonné définitivement dans la mort (ce qui renvoie une fois de plus à la difficulté d’abandonner la famille).
La grande interrogation
Les éléments les plus importants ont été dits mais il reste certains points qui méritent d’être abordés. Premièrement, le personnage de Kamuro, l’assistante du père : je ne la comprends tout simplement pas. J’ai l’impression qu’elle s’implique dans l’histoire sans réelle raison. Elle est très active pour s’impliquer dans l’histoire de la famille Arima, avant que cette dernière ne soit liée au destin du monde, sans pour autant qu’il soit suggéré que ce développement soit un tant soit peu prévisible.
Plus encore, je ne comprends pas ce qui la motive. Kamuro est une développeuse, en admiration devant Shiro, donc c’est logiquement quelqu’un qui donne une grande importance à l’intelligence, sinon elle n’aurait pas supporté Shiro, dont les compétences relationnelles sont déplorables. Pourtant, elle s’implique justement sur le plan émotionnel, qui devrait peu l’intéresser.
Pour essayer de comprendre, j’ai deux théories qui ont toutes deux leurs défauts. La première est que Kamuro serait amoureuse de Shiro mais tiraillée entre le désir de le garder pour elle et le désir qu’il soit heureux. Ça explique les problèmes mais est très bancal, cliché et largement incongru.
Une autre possibilité serait que Kamuro est censée représenter le regard d’une “personne normale” dans l’histoire ; j’entends par là une personne qui n’est pas émotionnellement impliquée mais qui connaît beaucoup d’éléments. Dans ce cas, la raison de son existence serait expliquée mais le personnage serait tout simplement raté. Un personnage extérieur ne peut et ne doit pas être impliqué si profondément ; elle est d’ailleurs largement impliquée à la fin.
Le plus grand défaut, ici et Maintenant
Le second point dont je voulais parler, car il est très important malgré sa redondance, est le traitement des personnages féminins. À part justement Kamuro, que je ne comprends pas, les autres sont très mal développés. La petite sœur peut difficilement être considérée comme un personnage et rien ne changerait si c’était un garçon, ce qui fait partie des critères de bons personnages lorsqu’il n’est pas question de société. Pourtant, le fait est qu’elle est victime, ce qui fait redondance avec de nombreuses autres œuvres, et c’est la seule de la fratrie qui n’est pas présentée comme ayant des compétences exceptionnelles, ce qui la rend largement inférieure.
Encore pire, la mère, qui est présente tout le long de l’histoire, est totalement inutile : elle est désignée comme folle et ne sert qu’à ne pas avoir à donner d’explication pour son absence. Ses noms sont May et Sayaka Arima et c’est la seule de la famille dont je n’ai pas eu l’occasion de parler du tout.
Enfin, Piko est le seul vrai personnage féminin mais est largement cantonné au rôle d’amoureuse possessive. Elle est d’abord présentée comme une menace mais est ensuite totalement exclue de l’histoire principale après avoir apporté le moment émotionnel de milieu d’histoire. Encore une fois, le fait d’avoir un personnage comme ça n’est pas un problème ; le problème est que c’est le personnage féminin le plus développé et qu’à part les 4 cités ci-avant, je n’ai pas souvenir qu’il y ait d’autres représentations, à part peut-être, encore une fois, victime, comme réfugiée à la toute fin.
La critique de Goodnight world encore a faire
Bien que je n’aie pas fait mention du thème des dangers de l’IA, tellement il est abordé de manière irréaliste, et qu’il reste la possibilité de faire une critique plus aprofondi, il a été vu dans cette critique de Goodnight World que ce manga joue avec les codes du genre dans un univers plus cohérent qu’il n’en a l’air. Plus encore, il parle avec une justesse inattendue de thèmes complexes comme la famille et le pardon.
Je pense que Goodnight world est un des manga qui aborde le plus de sujets avec le peut de temps dont il dispose, et quel que soit finalement l’avis que chacun peut avoir a sont sujet. C’est une qualité qui ne peut lui être ôté.
