Introduction
Radiant est un shonen (nekketsu) sorti en 2013, créé par le Français Tony Valente. Je veux ici vous donner envie de lire cet excellent manga en vous proposant une analyse des quatre premiers tomes. Des alertes aux spoils seront placées pour les personnes qui veulent s’en préserver au maximum.
Tout d’abord, j’aimerais commencer par quelques points rapides, qui sont en fait très importants dans le plaisir de lecture. Le mangaka parle de sujets de société et est Français, ce qui rend ses premiers tomes naturellement plus parlants et faciles à aborder pour des Européens. Dans la continuité, l’humour a été pensé en français, ce qui est rafraîchissant dans sa forme, même si l’humour reste, par définition, subjectif. Enfin, et surtout, le manga est totalement exempt de fanservice (au sens japonais du terme).
C’est finalement rare dans des shonen aussi classiques, et une bonne chose puisque cette pratique est l’une des plus à même de gâcher une bonne œuvre.
Au-delà de ça, les personnages sont moins soumis aux stéréotypes japonais, parfois limitants.
On peut passer rapidement sur les arguments d’autorité : c’est la meilleure vente d’un manga français, le premier à être traduit en japonais et adapté en anime. Il a été reconnu par plusieurs grands mangaka japonais (l’auteur de Fairy Tail, celui de One Punch Man, entre autres).
Le premier tome
Le premier tome se présente comme une introduction, avec beaucoup de présentations de personnages, celle de l’objectif final ainsi qu’une aventure complète; ce qui donne tous les éléments pour un premier avis étayé.
On peut en effet, dans ce tome 1, avoir un aperçu : du développement de personnages, de la construction d’un arc narratif, des dessins et combats ainsi que de l’humour.
spoils tome 1 entre les lignes
——————————————————————————————————————————————–
Remise en question
Pour rentrer un peu plus dans les détails, le manga commence par une bêtise faite par le héros (un classique) mais dès la page 30, le fondement des actions du héros ainsi que les conséquences de ses actes sont remis en question.
Ce passage, obligatoire à tout bon développement de héros shonen, arrive beaucoup plus tôt que dans nombre de séries du même genre où il faut attendre plusieurs tomes, parfois des dizaines.
Il est ici exprimé par une légère reformulation de la célèbre phrase d’Érasme : “On ne naît pas homme, on le devient.”
Première aventure
S’ensuit la première aventure, qui ne dure qu’un demi-tome, mais comprend un enjeu (la survie des habitants), quatre parties prenantes avec des motivations différentes et justifiées (les habitants, Seth, les brigands et le Némésis), un jeu d’alliances et de trahisons, ainsi qu’un enjeu moral.
Cette aventure me paraît être une prouesse technique de narration, introduisant plusieurs des grandes factions de l’univers (les Némésis, les sorciers ainsi que la population commune), chacune avec ses spécificités et son hétérogénéité intrinsèque.
Départ
Vient ensuite le départ. Cette partie introduit les personnages qui accompagneront Seth dans ses aventures, ainsi que son objectif.
Ce que je trouve particulièrement intéressant et représentatif est le traitement réservé à l’Inquisition. En effet, celle-ci est citée de nombreuses fois comme étant un danger pour les sorciers, pourtant lors de leur première apparition, c’est bien Seth qui attaque pour libérer une prisonnière… qui avait elle-même attaqué soudainement sans raison (Mélie avait fait une crise).
——————————————————————————————————————————————–
L’origine de la haine
Cette interaction justifie dans un premier temps la traque de l’Inquisition contre Seth, et est caractéristique de la naissance des conflits.
Deux individus appartiennent à des factions différentes (je considère faction comme synonyme de groupe social tout au long de l’article), et poursuivent un objectif personnel, parfois le même. Ils ne connaissent de l’autre que des généralités liées à son appartenance à une faction, et adaptent leur comportement à ces connaissances.
Ces comportements sont interprétés comme une agression de la part de l’un des individus, qui se met donc à agresser (dans ce qu’il perçoit comme de la défense). Ainsi, un conflit éclate, et une animosité sans fondement se forme.
Problématiques socio-politiques
À partir du tome 2 commence l’arc Rumble Town. Dans cet arc, on nous présente désormais une société où l’Inquisition domine. On a alors la justification de sa réputation parmi les sorciers.
On nous présente surtout une société où l’immigration représente une part importante de la population depuis plusieurs générations, mais où les dissensions ne font que s’accentuer. Phénomène largement amplifié par les médias, qui cherchent là où viennent les audiences, ainsi que par les autorités, qui cherchent à diriger le mécontentement vers un bouc émissaire afin de rester au pouvoir.
Dans cette situation géopolitique, il me paraîtrait inconcevable de ne pas y voir une critique de la situation actuelle en Europe; bien qu’elle soit simplifiée par l’isolement de la ville dans le manga.
L’utilisation des drames
De manière un peu plus fine, il m’a semblé percevoir un parallèle dans l’utilisation médiatique du faubourg nord-est avec celle qui nous est réservée concernant les attentats du 11 septembre 2001.
Je m’explique : avant toute chose, je ne prétends pas que les attentats sur les tours jumelles sont un complot du gouvernement américain; je parle ici uniquement du traitement médiatique.
Dans le manga, l’effondrement a eu lieu il y a 15 ans, et a été attribué à un acte terroriste. Parallèlement, dans le discours médiatique (incarné par le crieur de rue), cet événement revient régulièrement et est à même de répandre, sinon la haine, au moins la peur, dans la population.
Sur le plan chronologique, le tome 2 de Radiant est sorti en 2014, ce qui correspond à peu près.
Ensuite, sur le plan de l’impact sur la population : le 11 septembre a eu un grand impact moral. Si ma génération (née après) peut en rire, cela reste symboliquement fort pour une grande partie de la population. C’est d’ailleurs encore censuré sur YouTube (aussi pour des raisons politiques, mais passons).
Dans le manga, on pourrait penser que le traumatisme est encore plus grand, puisque c’est littéralement un cinquième de la ville qui s’est effondré, mais le traumatisme n’est jamais appuyé dans la narration, ce qui rend les deux événements comparables.
Enfin, sur le plan médiatique, il me semble que les médias IRL (In Real Life) ont tendance à garder insidieusement cet événement dans leur discours sous-jacent, ce qui, volontairement ou non, favorise la peur et entraîne, par effet domino, la montée de l’extrême droite que l’on connaît.
Bien sûr, il y a eu d’autres attentats, et je ne suis pas analyste médiatique. J’ai donc dû simplifier la réalité pour la faire correspondre à ma théorie.
Il me semble pourtant probable que Tony Valente ait pensé à ce parallèle. Et si ce n’est pas le cas, c’est une preuve de plus de la justesse de sa narration, puisque cela me permet de faire des liens là où ils n’étaient peut-être pas prévus.
De vrais débats !!!
Passons sur les combats épiques et attardons-nous sur la résolution du conflit dans le tome 4, car on y retrouve quelque chose qu’il ne me semble pas avoir déjà vu dans les centaines de mangas que j’ai lus :
le héros qui est convaincu par son ennemi, qui le trahit, puis réussit à le convaincre à son tour.
spoils du tome 4 entre les lignes
——————————————————————————————————————————————–
En effet, ces interactions, qui concluent le conflit avec Hameline et précèdent l’arrivée des thaumaturges, sont rarissimes et découlent d’une grande maturité des personnages.
Cette maturité permet à deux antagonistes de se comprendre humainement, d’écouter les arguments de l’autre, d’en intégrer à leur propre discours sans pour autant abandonner toutes leurs convictions, puis d’agir en conséquence.
Ces étapes, que les deux personnages franchissent alors même qu’ils sont ennemis, sont exactement ce qui se passe lors d’un débat sain; ce qui est très rare dans le paysage médiatique actuel, alors même que ce qui est censé être des débats est couramment organisé.
Que deux personnages soient à même de faire ce que de très rares personnalités font dans la réalité, alors même qu’ils ont un pouvoir considérable, est la preuve d’une grande maturité émotionnelle.
Maturité qui ne peut venir que d’une facilité scénaristique… ou d’un grand développement de la part de l’auteur.
Je ne vous surprends probablement plus si je vous dis que les tomes suivants confirment la deuxième hypothèse.
Une maturité rare
Avant de conclure, je souhaite m’attarder sur la fin du tome 4 et souligner à quel point le développement du personnage de Seth a progressé.
S’il commence avec à peu près la même maturité que tout héros de nekketsu shonen, il atteint au tome 4 un niveau comparable à celui de Naruto au tome 50. Luffy n’en est pas encore là au tome 90 (là où je me suis arrêté), et il ne me semble pas que Natsu y soit parvenu en 63 tomes (j’ai lu Fairy Tail il y a longtemps). Même Son Goku (une des inspirations de Tony Valente) n’y est pas arrivé en 42 tomes.
Je pourrais continuer longtemps, mais il me semble que c’est suffisant pour titiller l’égo de ceux qui ne jurent que par les classiques (tous les moyens sont bons).
Bien sûr, il n’y a pas qu’une seule manière de faire évoluer un personnage. Seth a encore beaucoup à apprendre à ce moment de l’histoire, et le développement de personnage ne fait pas tout. Il me semblait seulement que cet élément était représentatif de l’écart entre Radiant et ses concurrents.
——————————————————————————————————————————————–
Tour d’horizon
Dans cet article, on a parlé de narration, de géopolitique, de conflits sociétaux, ainsi que de développement de personnages. Bien sûr, la qualité d’un manga ne se limite pas à ces éléments, mais ce sont ceux qui me semblent les plus objectivement critiquables.
Des éléments tels que le dessin me paraissent bien trop subjectifs pour être critiqués le seul point dont je pourrais parler serait que j’apprécie qu’il y ait une explication dans l’histoire aux grands mouvements dans les chorégraphies de combat.
J’espère avoir réussi à vous donner envie de lire cette série, si vous ne l’avez pas déjà lue, malgré mon choix étrange de vous parler des quatre premiers tomes alors que j’ai eu le coup de cœur en lisant le tome 5… une troisième fois.
Et si vous l’avez déjà lue, j’espère que vous avez apprécié la critique et les pistes de réflexion que je vous ai proposées.